12 February, 2011

Another beautiful text

Mathias Enard (2010) - Actes Sud
Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

La nuit ne communique pas avec le jour.

Elle y brûle.

On la porte au bûcher de l'aube.

Et avec elle, ses gens, les buveurs, les poètes, les amants. Nous sommes un peuple de relégués, condamnés à mort ... ton corps dur reste accroché à ses certitudes, il éloigne le désir, refuse l'abandon. Je ne te blâme pas. Tu habites une autre prison, un monde de force et de courage ou tu penses pouvoir être porté en triomphe; tu crois obtenir la bienveillance des puissants, tu cherches la gloire et la fortune. Pourtant, lorsque la nuit arrive, tu trembles. Tu ne bois pas car tu as peur: tu sais que la brûlure de l'alcool te précipite dans la faiblesse, dans l'irrésistible besoin de retrouver des caresses, une tendresse disparue, le monde perdu de l'enfance, la satisfaction, le calme face à l'incertitude scintillante de l'obscurité.... en réalité, ce que tu souhaites sans le savoir, c'est la disparition de tes peurs, la guérison, l'union, le retour, l'oubli.

Cette puissance en toi te dévore dans la solitude.

Alors, tu souffres, perdu dans le crépuscule indéfini, un pied dans le jour et l'autre dans la nuit.


... (et plus loin) ...

Tu n'es pas venu jusqu'ici pour me connaître, tu es venu pour construire un pont, pour l'argent, pour dieu sait quelle autre raison, et tu repartiras identique, inchangé, vers ton destin. Si tu ne me touches pas, tu resteras le même. Tu n'auras rencontré personne. Enfermé dans ton monde, tu ne vois que des ombres, des formes incomplètes, des territoires à concquérir.

Chaque jour te pousse vers le suivant sans que tu ne saches l'habiter vraiment.

La vérité, c'est qu'il n'y a rien d'autre que la souffrance et que nous essayons d'oublier, dans des bras étrangers, que nous disparaîtrons bientôt.